DES AUTOPSIES PRATIQUÉES AVEC DES ÉQUIPEMENTS VÉTUSTES, PARFOIS DANS DES COULOIRS
DES CERTIFICATS D’INCAPACITÉ À LA TÊTE DU CLIENT, SELON UNE ÉTUDE DU CNDH
SEULEMENT 13 SPÉCIALISTES AU NIVEAU NATIONAL
La médecine légale sort ses «cadavres»
La
pratique des autopsies au Maroc souffre d’une série de défaillances,
que ce soit dans les morgues hospitalières ou municipales, notamment en
termes de vétusté du matériel et de la rareté des médecins spécialistes
expérimentés
C’est l’un des secteurs
déterminants dans la garantie de l’indépendance de la justice.
La
médecine légale, outil décisif dans la détermination des peines contre
les accusés ou des dommages et intérêts en faveur des victimes, est un
domaine resté à l’ombre pendant des années. C’est pour mettre fin à
cette obscurité que le Conseil national des droits de l’homme (CNDH)
s’est penché sur cette question, qui a fait l’objet d’une étude
présentée hier à Rabat. D’emblée, Driss El Yazami, président du CNDH, a
reconnu qu’il s’agit d’un «secteur peu connu, même s’il joue un grand
rôle dans la protection des droits des citoyens».
D’autant plus
que «l’Instance équité et réconciliation avait souligné l’importance
d’amorcer une réforme globale du secteur», a-t-il ajouté. Une réforme
qui semble aujourd’hui à ses premiers balbutiements, puisqu’un
représentant du ministère de la Justice a fait savoir que des efforts
sont menés dans ce sens. Mais entre-temps, «il faut savoir gérer cette
période transitoire», a-t-il estimé. Il s’agit de procéder au traitement
d’une série de défaillances relevées par l’étude du CNDH. Une situation
honteuse, tellement les dysfonctionnements sont nombreux. Globalement,
«ce secteur n’est pas structuré, connaît une grande présence de médecins
non expérimentés dans cette spécialité, en plus de l’absence de
coordination entre les différents intervenants», a souligné Hicham
Benyaich, directeur du Centre de médecine légale à Casablanca. En effet,
le Maroc ne compte que 13 spécialistes en médecine légale. Ce qui
témoigne du grand déficit en matière de ressources humaines qualifiées.
L’étude
du Conseil d’El Yazami a porté sur les trois volets de la pratique de
la médecine légale. A commencer par les activités liées aux décès.
Celles-ci sont pratiquées dans des morgues hospitalières ou municipales,
et rarement dans les lieux de découverte des cadavres. Cependant, les
morgues relevant des hôpitaux se caractérisent par «la vétusté des
locaux, des installations frigorifiques et de l’insuffisance du matériel
utilisé dans les autopsies». Parfois, «ces actes médicaux sont
pratiqués dans un couloir et non pas dans un bloc proprement dit», a
déploré Benyaich.
De leur côté, «les morgues municipales
souffrent de leur isolement de l’environnement hospitalier, avec son
plateau technique et ses compétences multidisciplinaires», est-il
indiqué. Pire, «les médecins hospitaliers qui pratiquent les autopsies
n’ont aucune formation dans cette activité», peut-on lire dans ce
document. En outre, ils ne sont pas toujours informés des enjeux de
l’enquête. Or, la coordination dans ce genre d’affaires est décisive
pour atteindre l’objectif escompté. Il faut dire également que ces
professionnels ne bénéficient d’aucune motivation financière, dans la
mesure où leur rémunération, qui s’inscrit dans le cadre des frais de
justice, ne dépasse pas 100 DH par autopsie. Les hôpitaux qui
accueillent ces opérations d’autopsie ne perçoivent aucune indemnité. Ce
qui se traduit par le manque d’intérêt pour la qualité des équipements
mis en place.
Le manque d’organisation s’étend également à
l’activité de délivrance des certificats médico-légaux. Pire, ces
certificats, décisifs dans la détermination des peines contre les
accusés, des dommages et intérêts pour les victimes ou encore pour les
primes d’assurances, souffrent d’une absence d’un cadre référentiel
national. Celui-ci est censé déterminer la durée d’incapacité et définir
le concept de l’infirmité permanente. C’est ce qui encourage les
différents dysfonctionnements, comme la corruption, qui caractérisent ce
domaine (cf.www.leconomiste.com). D’autant plus que «le parquet général
n’a qu’un contrôle hypothétique sur la qualité des certificats
produits», est-il noté.
Une situation compliquée davantage par le
caractère illisible de ces certificats, même pour un médecin, selon le
constat des équipes du CNDH. Et même lorsqu’ils sont clairs, «leur
contenu est généralement maigre en constatations objectives, ne donnant
aucun fondement aux durées d’incapacité estimée», a souligné Hicham
Benyaich. L’étude menée par une équipe dirigée par ce professionnel a
également relevé la rareté des examens concernant les personnes placées
en garde à vue. D’ailleurs, c’est l’un des principaux moyens pour couper
court aux allégations de violence à l’encontre des détenus par les
forces de l’ordre. Par ailleurs, les experts du CNDH déplorent que «les
expertises médico-judiciaires soient confiées en général à des médecins
inscrits sur les tableaux des experts auprès des cours d’appel, n’ayant
pour la plupart aucune formation préalable dans ce domaine».
Les
professionnels, notamment les professeurs et les médecins légistes,
n’étant pas autorisés à s’inscrire sur ces tableaux, car il s’agit d’une
activité libérale, dont le cumul est incompatible avec la fonction
publique. Pire, la désignation des experts se fait parfois hors de leur
spécialité. Hicham Benyaich a fait savoir que «parfois, même des
dentistes peuvent être saisis d’une expertise qui ne relève pas de leur
spécialité».
Réforme
Face à la situation catastrophique
qui caractérise la pratique de la médecine légale, le CNDH a recommandé
de mettre en place une structure centrale de conception et de mise en
œuvre d’un schéma directeur de cette activité. Cette instance se
chargera également de l’élaboration d’un cadre légal qui définit
notamment les qualifications requises et le champ d’intervention des
médecins légistes. A cela s’ajoute la réforme de certains textes,
notamment celui interdisant aux médecins du public d’exercer cette
activité, en privilégiant le critère de la compétence.
Mohamed Ali MRABI
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